Les blues du cordon bleu

Cordon bleu, frites au four et sauce au choix (ketchup, sauce chinoise ou BBQ)… et pas moins (selon les marques choisies) de 50 ingrédients dont 20 additifs et arômes… Analyse physico-chimique pleine d’humour de Raphaël Haumont, enseignant-chercheur à l’Université Paris-Saclay et co-fondateur avec le Chef Thierry Marx du Centre Français d’Innovation Culinaire (CEFIC).

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À table – Le cordon bleu

Ultra-transformés vs ultra-formulés

Le maïs est un aliment brut. On le cuit, on mange l’épi. Du maïs en conserve est un produit transformé. Les galettes de maïs sont des produits ultra-transformés. Le poisson est un aliment brut. Du poisson cuit en sauce est transformé.

Le surimi est un ultra transformé. Mais dans l’ultra-transformation (de texture, de forme, de saveurs), se cache surtout une ultra formulation. Les aliments sont broyés, mixés, dilués dans de l’eau (peu coûteuse), re-texturés et standardisés, et bien évidemment colorés, aromatisés et adjoints de conservateurs pour que nous puissions les acheter aujourd’hui et les consommer dans 2 mois !

Rassurons-nous (ou pas !), dans le cordon bleu il y a quand même 48 % de viande ; les frites sont faites de 85 % de pomme de terre, et dans le ketchup il y a majoritairement de la tomate. Et le reste ?

La lecture détaillées des étiquettes nous montre qu’il se cache beaucoup d’eau, mais aussi du sucre (dextrose, dextrine, sirop de glucose), des protéines (de blé, de lait, blanc d’oeuf en poudre) pour reconstituer la texture de viande, des amidons et amidons modifiés (de maïs, de pomme de terre) pour épaissir, des arômes (de viande, de viande fumée, de fromage), de l’huile, et aussi des conservateurs et stabilisants E250, E202, E331, E330, E407, E316, E450,… Amusant (ou pas), il y a de la farine de riz et fibres de pois dans les frites de pomme de terre, et/mais de l’amidon de pomme de terre dans le fromage du cordon bleu aromatisé au fromage…

EXXX ? Euhhhhh ?

La DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) définit les additifs alimentaires comme des substances ajoutées dans un but technologiques : améliorer la texture, la conservation, la couleur, prévenir l’oxydation, renforcer les saveurs. Sur ce dernier point, les édulcorants et exhausteurs de goûts sont classés comme additifs, alors que les arômes échappent à la liste. C’est ainsi que l’emballage du cordon bleu affiche fièrement « sans exhausteur de goût » alors qu’il contient 4 arômes…

Tous les additifs portent un code EXXX (E pour Europe) suivi de 3 chiffres. 1XX pour colorant, 2XX pour conservateurs, 3XX pour les antioxydants, 4XX pour les texturants etc. E ne signifie pas ‘chimique’ ni ‘toxique’. Rappelons que tout est chimique (« être chimique » n’a donc aucun sens) et ‘toxique’ ne veut pas dire grand-chose non plus : tout est toxique et tout dépend de la dose ! sous E407 se cache des algues rouges (extraits naturels), alors que E250 est le code du sel nitrité (soupçonné d’être cancérigène). Là est toute la difficulté d’apprendre à déchiffrer ces étiquettes.

Quelques conseils

  • Même si EXX n’est pas un gage d’alchimie alimentaire, moins il y a de EXX sur une liste d’ingrédients, mieux c’est.
  • Et d’ailleurs, moins il y a d’ingrédients sur la liste, mieux c’est. Un cordon bleu maison contient 5 ingrédients (escalope de dinde ou veau ; tranche de viande séchée, tranche de fromage, farine, oeuf, chapelure). Celui que l’on a décortiqué pour vous en contient 31 !
  • Faites un maximum de chose vous-même. Ce n’est pas compliqué, et bien meilleur. Vous préparez l’argument « J’ai pas le temps ! ». Combien de temps passez-vous sur les réseaux sociaux ? Enlever 20 min de votre « temps d’écran » et passer 20 min à cuisiner en famille, avec vos amis, à partager et à recréer du (vrai) lien social. Et après, postez sur les réseaux « fait maison » ! CQFD !

Zoom sur le ketchup

Le ketchup (ké-tsiap) serait né en chine il y a plusieurs siècles. Il s’agissait d’une sauce acide saumurée, un peu comme le nuoc-mam. Pour le mettre au goût des américains, Henry John Heinz, qui fondera par la suite l’empire éponyme-, y ajouta de la tomate, du sucre pour adoucir un peu le gout vinaigré, et quelques épices. Cette sauce a ensuite été déclinée dans tous les pays avec les épices locales et les habitudes de la population.

Aujourd’hui, après moultes dérives de l’agro-industrie, le ketchup industriel est fait de purée de tomate, d’épices, et renferme surtout 20 à 25 % de sucre (saccharose ou sirop de glucose principalement) ! Si vous reprenez les recettes originelles, vous remarquerez qu’il y avait des oignons, des tomates, des carottes… tout cela n’est pas un hasard. Il s’agit de végétaux riches en glucides. Près de 5-6 % dans les carottes et les oignons doux ! Les autres légumes sont très en dessous de ces valeurs.

Faisons du ketchup maison à partir de ces informations. Faites un jus de ces fruits et légumes avec une centrifugeuse. Par exemple oignon-carotte-tomate (Exemple : 3-4 carottes, 4-5 tomates, 1 oignon). Récupérez le jus et faites réduire tout doucement dans une casserole avec quelques épices de votre choix : cannelle, clou de girofle, poivre, cumin ou tout simplement un peu de 4 épices par exemple. Un peu de piment aussi si vous aimez. Ajoutez-y enfin un peu de vinaigre balsamique blanc (environ 4 cuillères à soupe) Là encore, selon les goûts. Faites réduire longtemps. On obtient une sauce épaisse. Du ketchup maison, sans aucun sucre ajouté !

Tous en quête de l’étiquette

Cordons bleus, frites surgelées mais aussi céréales du petit déjeuner, plats cuisinés… Il n’est pas toujours simple de comprendre la valeur nutritionnelle des produits alimentaires au moment de faire ses courses. Mais depuis le 31 octobre 2017, nous pouvons désormais nous fier à une nouvelle signalétique d’étiquetage : le « Nutri-score ». « Conçu par l’Agence Santé Publique France, ce code cinq couleurs renseigne le consommateur sur la qualité nutritionnelle des aliments, du vert foncé (A) à l’orange foncé (E). Il prend en compte, pour cent grammes de produit, sa teneur en nutriments et en aliments réputés bons pour la santé (fibres, protéines, fruits, légumes) d’une part, et à l’inverse sa teneur en nutriments à limiter (énergie, sucre, sel, acides gras saturés). Il concerne tous les aliments transformés et toutes les boissons non alcoolisées » nous explique Lydiane Nabec, Professeur de marketing à la Faculté Droits-Economie Gestion de l’Université Paris-Saclay et dont les travaux de recherche portent notamment sur le volet social du marketing, en lien avec les questions de santé publique et les acteurs de la santé et de la protection des consommateurs en France.

De nombreuses recherches ont en effet été menées ces dernières années pour comprendre l’impact de l’étiquetage nutritionnel sur la qualité des décisions alimentaires. Dans un contexte où « l’épidémie » d’obésité et de surpoids touche désormais un tiers de la population mondiale, l’étiquetage nutritionnel porte un enjeu majeur de santé publique : améliorer les comportements alimentaires des individus en les informant sur la qualité nutritionnelle des produits qu’ils consomment. L’étiquetage nutritionnel demeure leur principal vecteur d’information car c’est le premier support avec lequel ils sont en contact sur le
lieu de vente. Il comporte pourtant une limite majeure : sa faible consultation. Des études ont en effet révélé que seulement 16,8 % des Européens le consultent en magasin et uniquement 8,8 % des Français. En outre, il influence particulièrement le comportement des consommateurs déjà sensibilisés aux enjeux santé de la nutrition.

Dans une étude réalisée en 2016 auprès de 176 individus sur des céréales pour le petit déjeuner de trois niveaux différents de qualité nutritionnelle, Lydiane Nabec avait révélé que les logos interprétatifs – comme le système 5C – sont plus efficaces que ne le sont les logos descriptifs pour alerter les consommateurs sur les produits de mauvaise qualité nutritionnelle, ainsi que pour promouvoir les produits sains.

« Nutri-score » permet désormais d’obtenir une information lisible et compréhensible sur la qualité nutritionnelle globale des produits alimentaires. C’est un véritable progrès pour le consommateur » se réjouit la chercheuse. Avec une petite réserve néanmoins, cet étiquetage « Nutri-score » repose uniquement sur le volontariat des industries de l’agroalimentaire et des distributeurs. À ce jour en France, plus de 90 industriels ont décidé de
jouer le jeu.

Si vous souhaitez approfondir le sujet, voici quelques livres à lire:

Editions Dunod, oct. 2018, 192 p, 19€90
Editions EMS, Collection Versus, 2016, 224 p, 22€
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